• Visions du Réel: "Nous Princesses de Clèves"

    La Princesse De Clèves (1678) de Madame de La Fayette a l’honneur d’énerver Nicolas Sarkozy. Pour le premier président illettré de l’histoire de France, le premier grand roman de la littérature française symbolise tout ce qu’il vomit (intelligence, culture, raffinement, belle langue, mélancolie…) parce que ça ne produit pas de profit à court terme, parce que c’est vieux, poussiéreux. Lire, pour les agités de son acabit, c’est déjà du temps perdu. Alors un roman du 17e siècle… Sarko le minus ne verra sans doute jamais Nous, Princesses de Clèves et, s’il le voyait, il ne le comprendrait sans doute pas.

    Axé sur l’œuvre de La Fayette, ce documentaire pratique une forme très élégante d’insolence en ne mentionnant jamais la bavure culturelle du matamore ignare. Pour son premier film, Régis Sauder a suivi une quinzaine de lycéens dans une zone sensible de Marseille en train d’étudier La Princesse. Et le roman que d’aucuns vouent aux oubliettes agit comme un puissant révélateur sur ces adolescents dont un bon nombre sont issus de l’immigration – une Black, émue de découvrir le Louvre, maison de ses "ancêtres", se fait salement rabrouer par sa copine, qui lui rappelle que leurs ancêtres étaient esclaves.

    "Je me suis senti concernée par le roman» dit une fille dont le cœur blance entre deux garçons. «Je suis une parallèle de la Princesse de Clèves», estime une autre tandis qu’un joyeux drille affirme: «Je suis plus  le Duc de Nemours, car je suis un chau lapin ». Réinventés dans le langage des banlieues, Mademoiselle de Chartres, Henri II, le Duc de Nemours reprennent vie. Ils posent d’éternelles questions sur les difficultés de l’amour, entrent en correspondances avec les problèmes des lycéens marseillais, ô toute puissance de la littérature!  «Princesses sont celles qui ont connu la misère Sont celles qui ont connu la douleur» scandait naguère KDD en hommage à Betty Shabazz, veuve de Malcolm X. L’un des jeunes lecteurs de La Princesse s’essaye d’ailleurs au rap : on découvre que Madame La Fayette a du flow.

    En donnant la parole aux jeunes sans les juger, le film de Régis Sauder évoque Romans d’ados, mais un Romans d’ados revu et fécondé par la littérature. On pense aussi à L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, dans lequel un groupe de lycéens répète Le Jeu de l'Amour et du Hasardde Marivaux. Et encore à Entre les Murs, de Laurent Cantet, qui montre la grandeur bafouée de l'enseignement.

    « Bon aprem à tous.Dieu? »

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